(23 Décembre 2024)
Un matin, je suis repartie marcher là où j’ai oublié mon stylo un soir d’Octobre. J’ai avancé comme avec les yeux fermés, sans vraiment rien voir dans ces rues où j’ai tant tourné en rond, essayant de rattraper le temps perdu de la vieille et ces vilains mots qui restent sur le bout de ma langue.
Ça me démange l’esprit, ça me donne secrètement envie de tout secouer, de tout briser pour trouver dans le bazar des tristesses quelques mots ayant quelque sens ou quelque raison d’être.
Ce matin-là, j’ai voulu écouter le silence en marchant au bord des routes occupées et polluées, alors je n’ai rien pu entendre d’autre que le bruit de mes pensées qui couraient dans ma tête. Je n’ai rien pu voir ou sentir, si ce n’est le ciel bizarrement bleu pour un matin de Décembre et l’odeur du pétrole.
J’ai pensé (encore, beaucoup, trop).
J’ai fait une boucle en pensant :
“Quel vide !”, et soudain tout me manquait. Les déceptions, les maux du cœur, la présence d’une absence et le cerveau toujours actif qui pousse à écrire plus, un peu plus, un peu mieux.
Mais oui, quel vide ! Je suis restée enfermée en pensant que la matière pour écrire était à l’intérieur, mais sans crise ni amour naissant, l’intérieur n’est qu’un énorme vide où la vie pratique et le travail prennent toute la place.
Je pensais que l’esprit s’épanouissait en se réfugiant à l’intérieur.
Mais alors, pourquoi l’extérieur et les autres semblent bien souvent être le remède au vide ?
Je pense “quel ennui ! , et je vois le soleil se lever à travers les branches de la haie sur la terrasse.
Je pense “quel calme ! ”, et j’entends les voisins danser et chanter, je vois les oiseaux du Sud voler en groupe, je sens les épices que mélange mon père dans la cuisine.
Je pense “quelle inactivité ! ”, et j’écris une ou deux pages, parfois trois, je passe une après-midi penchée sur mes cahiers, je marche ou danse, j’attrape le coucher de soleil ou le sourire d'une ou deux inconnues qui font danser leurs cils sous la menace du vent glacial.
Je pense “quelle absence d’amour !”, et je cuisine pour maman, papa, quatre ou cinq amis, je regarde le matin doucement émerger dans des tons de rose orangé si sublimes que j’en pleure sans pouvoir le dire.
Je pense “quelle flemmardise !”, puis je m’allonge, épuisée, sur la pile des choses que j’ai faites de mes propres mains, de la paix que j’ai construite en m’efforçant de sourire devant le miroir chaque matin.
Je pense “quel froid !”, puis le soleil danse dans le salon et je m’enroule dans l'écharpe que mamie m’a tricottée l’hiver dernier en buvant d’une traite un thé encore brûlant.
Mais surtout, je pense “quel manque d’inspiration ! quelle mauvaise écriture !” , puis les échos de milliards d’espoirs hantent mes rêves, me secouent et me réveillent avec l’impression d’avoir des centaines de mots à vomir.
Je pense, et puis, je pense encore.
C’est ainsi, sans doute, que l’on achève une année de changements et de pertes et de questions sans réponses.
C’est ainsi, sans doute, que le corps qui tombe soudainement malade pousse à arrêter, à prendre un instant pour regarder passer le solstice d’hiver.
Prendre un instant pour réaliser qu’une différente personne tenait ce même stylo l’année dernière.
Prendre un instant pour réaliser que le monde n’est pas une course.
Que le temps ne doit pas être subi.
Que grandir n’est pas une malédiction.