Sous la pluie, tout brille. C’est léger, presque imperceptible, pratiquement invisible ; rien à voir avec le doré onirique du soleil crépusculaire ou la froideur fantomatique qui s’éternise à travers les rayons du soleil matinal de Mai. La pluie crée un monde dépourvu de vivacité ; tout semble ralentir. J’ai toujours l’impression de retrouver mon enfance dans le reflet des flaques qui jonchent les rues pressés ou désertes. Les plages sont délaissées, le monde s’enfuit vers je ne sais où. Je grelotte, je m’attarde toujours trop longtemps dehors, juste assez pour être mouillée et abandonnée.
Il y a deux jolis coquelicots qui ont réussi à reconquérir leur terre juste en bas de chez moi. Je les imagine se débattre avec le vent, ils remercient la pluie en frétillant de leur longue tige et l’eau puise leur rouge ; c’est doux-amer. Ils quittent une peau de sang pour devenir orange… Je les imagine en pleurer, en souffrir. Perdre et perdre, simplement pour vivre. Un coquelicot qui devient orange… Subir le temps qui passe comme le tonnerre, le temps cruel.
Les visages sont tout aussi gris que l’immensité nuageuse menaçante au-dessus du monde. La mer doit être si frustrée, d’un bleu livide et mouvementé ; un regard bouleversé, pleureur. Celui d’une amante que l’on laisse, l’air de dire “ Oh ! Décidément ! Cela arrive toujours au mauvais moment !”
La mer trahie par la tempête ou une amante que l’on abandonne ; il n’y aucune différence. Elles tremblent et s’agitent toutes les deux, rugissant en “pourquoi ?” et s’offensent d’autant plus lorsque jaillit une excuse, lorsqu’on leur répond “c’est la vie, c’est ainsi, c’est l’ordre des choses.” Comme les pauvres coquelicots oranges et le reflet perdu de soi-même qui tremble sur le sol inondé. Subir est l’ordre des choses, mais c’est bien ainsi que les coquelicots survivent (quelques jours) et que le soleil peut nous ravir après nous avoir manqué pendant des mois (parfois, des années).
Alors quand la pluie m’attriste, je me répète : “c’est l’ordre des choses.”
Et puis la solitude du monde où seul le bruit du bitume fracassé par les tristesses du ciel résonne me rappelle les longues après-midi d’hiver chez mamie, une tasse brûlante toujours coincée entre mes deux petites mains maladroites et hésitantes. J’avais toujours un air curieux qui ajoutait à la profondeur de mes yeux noirs une pénombre ronde. Je regardais la pluie battre le monde, réprimant l’envie d’agir comme une amante au coeur brisé en répétant “ mais pourquoi ?!”
Les murmures du vent criaient “C’est l’ordre des choses ! Voilà tout !”
Et alors le soleil me manquait comme le rouge manque aux coquelicots. Pas d’inquiétude, le soleil reviendra toujours. Et il y a tout l’espoir du monde en ce fait.