Je me réveille sous les nuages à la pointe rosée. Les souvenirs dorés du crépuscule manqué résonnent dans un rêve où je n’ai jamais grandi.
Les tourterelles s’envolent avec les peines d’hier, et je vois le ciel qui se dégage prendre la couleur d’un bleu d’hiver. Les champs de tournesols ont fanés, le soleil a trop manqué :
lundi, mardi, jeudi sans lumière, et le spectre estival danse avec nos misères.
Quel spectacle qu’est le temps ! Et mes mains froides, mes yeux lourds, courent et jamais ne ralentissent sur les gens, sur les conversations et les commentaires…
J’ai le cœur un peu trop maître, et les pluies pleureuses me ramènent toujours à mon enfance heureuse. Sans-dessus dessous sont les rires, les douleurs, les paroles. Je ne me souviens que des regards pailletés comme la mer scintillante. Les bougies de mon dernier anniversaire brillaient, elles-aussi : le 1, droit et sévère, à sa place depuis des années ; le 7, malencontreusement brisé, éclaté le matin-même. Mes bougies d’anniversaire révélaient timidement ce que je n’osais dire : j’avais peur de ne pas survivre à la chute.
Je me réveille et heureusement, mes parents dorment encore dans la chambre d’à côté. Tout est en ordre, tout est à sa place : les photos de famille, les chaussures empilées, les clés rangées sagement l’une à côté de l’autre, droites et fières comme les rangs des écoliers.Mon être, lui, s’éparpille à perte de vue. Mon corps est devenu bien trop grand pour mes robes roses et mes chaussons en laine. Mon esprit se métamorphose, se cogne au réel et aux questions qui m'entrainent. Je ne pense plus, je ne rêve plus, je ne fais que demander, supplier. Tout est point d’interrogations et non-dits, mystères et silences, patience sans confiance et les journées assourdissantes disparaissent aussi vite qu’une étoile filante. J’ai fait un mauvais pari pour grandir plus vite, et le temps a joué. Il a couru, il a filé, et mes bougies dorées moisissent déjà dans un souvenir larmoyant.
Le chemin que prendront mes grands pieds, peu importe lequel sera t-il, sera laborieux et d’une peine immense. Je marche jour et nuit, je m’abîme les pattes sur une route perdue entre l’espoir et la passion. Abandonnez vos devinettes, vos tarots et vos boules de cristal. J’ai passé des mois à m’acharner sur les esprits divins pour savoir. J’ai secoué le monde pour obtenir réponses et consolations, et j’ai appris que l’avenir est et demeurera inavouable. L’avenir ne devrait jamais être le souci des vivants, et encore moins celui des morts. Il peut seulement faire jaillir la peine du cœur qui se refuse à battre, des yeux qui se refusent à se tourner vers le large ciel tant qu’il est encore là, tant que nos mains peuvent toujours s’élever pour saisir le vent, tant que les larmes des anges nous honorent toujours de leur lumières et de leurs éternelles promesses, tant que nous vivons toujours protégés sous la bénédiction des prières de nos mères.
On m’a dit de danser, de faire une ronde avec les astres, de valser avec la jeunesse. On m’a dit que l’on a 17 ans qu’une seule année qui se compte en quelques jours sots et pressés, qu’il faut vite se dépêcher de vivre, d’aller conquérir le monde tant que les rêves ne profitent pas de la liberté pour se ranger sagement du côté de la réalité.
Mais.. j’ai la sensibilité trop vive et l’esprit trop lent. On me parle du lendemain, d’hier ou d’ailleurs, mais j’ai le cœur là-haut, dans les nuages à la pointe rosée.