Sur les premières pages d’un journal complètement neuf et vierge.
J’ai oublié comment recommencer : comment se présenter à un nouveau journal ? Comment fait-on un autoportrait en mots ? Cela serait-il plus pertinent qu’une peinture, qu’un cliché volé à mon ignorance de l’objectif en face ? Je pense, oui. Il me semble que les mots définissent en général assez bien tout ce qu’il y a à savoir sur ma personne. Ils dressent un constat qui semble étonnamment plus fiable. Ce qui est certain, c’est qu’ils ont un petit pouvoir en plus : ils laissent voir l’invisible (l’intérieur).
Un jour, l’un de mes professeurs a déclaré que la littérature est “l’art le plus puissant de tous”, car il permet aux esprits de pénétrer dans la tête de quiconque s'amuse à écrire, et ainsi, bien-sûr, de comprendre et de penser (et ressentir) tout comme l’auteur. J’avais écouté les paroles de mon professeur avec l’intime conviction qu’il savait lire les cœurs et comprendre les âmes. Depuis, je n’ai cessé d’écrire avec cette idée dans un petit coin de ma tête : peut-être qu’un jour, quelqu’un me lira et pourra emprunter mes yeux, mes oreilles, mes mains, mes larmes, mes doutes.
Peut-être qu’un lecteur deviendra le miroir de tout ce qui vit à l’intérieur de moi sans jamais trouver autre issue de secours qu’une page blanche.
(Mon Dieu, toutes ces choses que j’écris sans jamais dire !)
Voici donc mon autoportrait en mots :
odeur de café et goût de tabac froid (culpabilité brûlante)
stylos rouges usés trop vite, stylos noirs toujours égarés, gribouillis littéraires
amours non réciproques (sauf celui que j’ai avec l’existence entière)
croissant de Lune autour de la nuque,
étoiles plein les yeux,
parfum(s) d’été(s), nostalgies naïves,
boîte à souvenirs qui débordent autant que le cœur
yeux noirs comme une nuit polaire où il pleut souvent
volonté plus grande que le soleil
esprit aussi lointain que saturne
affection étrange pour les maladresses du cœur et les mauvais sorts
(c’est quand ça fait mal que j’écris le mieux)
appareil photo, clichés flous
musique tellement forte que mes oreilles bourdonnent
notes, post-its partout, des mots partout, pour rien dire, tout dire,
pour abuser de mon encre par passion ou simplement car j’aime voir mon stylo frétiller sur le papier maltraité
bruit de talons à chaque pas
dos abîmé à force de transporter trop de livres et de carnets
rire des vagues qui résonnent dans mon cœur comme celui d’une mère
rire de maman qui résonne dans mon cœur.
envie de fuir et de rester planter au même endroit pour toujours
envie de changer et que tout reste à jamais pareil
paradoxes, dilemmes, questions d’adolescent
envies d’adolescente
fleurs mortes et café sec à sept heure
courir après le temps mais sans jamais trébucher grâce à une patience remarquable sans autre explication qu’une qualité volée à une vie antérieure
réincarnation et cartes de tarots (expliquez moi, expliquez moi)
je crois en Dieu mais il n’existe pas
Dieu existe mais je ne crois pas en Lui
(et je ne sais jamais qui écoute pourtant mes prières)
goût de sel sur le bout de la langue
(fantôme de la mer : j’ai constamment l’impression de boire la tasse)
fruits toujours à portée de main
coeur qui s’emballe quand il croise la route d’une jolie fille :
yeux clairs comme l’eau sur nos côtes, mâchoire serrée qui camoufle l’air un peu bouleversé du regard, une pointe d’aigreur ou de douceur (ou un mélange attirant des deux)
Quoi d’autre ? Je suis tant de choses et pourtant pas grand chose.
J’aime tant de choses et j’en déteste trop peu.
Quoi d’autre ? Quoi d’autre ?
J’ai les pensées un peu volatiles mais les meilleures des intentions.
J’oublie : de rappeler, de répondre, d’être là parfois (souvent) et j’en ai honte.
Je pense toujours : à caresser le chat nomade qui traîne dans les rues de chez moi, à faire du thé brûlant quand vient la nuit, à sourire quand une inconnue me regarde dans les yeux, à danser quand j’entends n’importe quelle mélodie.
J’oublie les anniversaires mais jamais la couleur favorite.
J’oublie les paroles mais jamais la profondeur du regard.
J’oublie la fin mais jamais le début.
(Je me souviens de tout, au fond, je le jure! )
Quoi d’autre ?
Je suis profondément amoureuse, mais je n’aime personne.
Mes yeux sont fixés sur le monde.